Le paradis au cœur de l’homme
J’ai rêvé d’un monde différent. Un monde où tout serait innocence, grâce et volupté. J’ai rêvé d’un monde où l’homme serait enfant, où l’ego serait pluriel, où la peur serait bannie et le mal anéanti. Je me suis évadé dans ce monde débordant d’amour et j’ai découvert le paradis. Tout là-haut, j’entendais s’élever d’une seule et même voix des psaumes à la gloire du Seigneur ; autour de moi, des visages angéliques chantaient à l’unisson en l’honneur du nouvel homme ; un peu plus loin, dans une symphonie de couleurs, des champs de jonquilles et de pivoines s’employaient à répandre les parfums les plus délicats. Ici, un enfant cueillait une rose ; là-bas, un homme priait à l’ombre d’un olivier ; un peu plus loin, un luthier travaillait le bois et un paysan la terre. Je me suis retourné pour respirer cette paix à pleins poumons, un air pur et vif me frappait le visage ; tout respirait le bonheur, et moi, spectateur de cet hymne à la vie, je tressaillais de joie. Je me suis agenouillé et j’ai prié de toutes mes forces, j’ai remercié de tout mon cœur la Source qui féconde cet Eden.
J’ai voulu connaître ce monde, et tous mes sens en éveil, j’ai découvert l’harmonie. Harmonie des couleurs, des odeurs, des louanges ; j’ai goûté la vie. Alors, mes yeux grands ouverts, je me suis enfoui au centre d’un monde suave et voluptueux aux formes enivrantes et aux éléments sublimés, je me suis enfoncé dans cet océan de félicité afin d’en déceler tous les trésors. J’ai pénétré les parties les plus reculées de ce monde inconnu et j’y ai rencontré un spectacle éblouissant de beauté. L’esprit serein et l’âme emplie d’une douce tranquillité, j’ai surpris l’armée du Seigneur au réveil. La milice dévouée s’est activée sous mes yeux, pleine d’ardeur, d’entrain et de ferveur. Là, devant moi, les troupes célestes se sont emparées de leurs armes divines pour défendre le royaume. Des millions de chevaliers se sont avancés lentement sur un tapis de lys, du haut de leurs pégases rayonnants. Passant sous le porche de l’autre monde, un par un, ils se sont penchés et ont cueilli l’Amour, puis, empoignant le glaive de la Justice, chacun s’est vu recouvrir des ailes protectrices de la Sagesse. Prêt à livrer leur combat quotidien, ils sont partis, dans un élan de miséricorde, défendre la Vérité et accomplir leur mission, pendant que les anges louaient et priaient plus que jamais le Seigneur notre Dieu. Frémissant d’un bonheur si intense qu’inqualifiable à la vue du tableau féerique, je me suis évanoui de plaisir.
Je me suis réveillé, ce matin, mille images à l’esprit. J’étais le plus heureux des hommes, moi qui avais foulé toute la nuit le jardin secret du nouvel homme. J’ai pénétré au plus profond de l’âme de l’initié et j’ai découvert le cœur pur et noble du chevalier parfait, la face cachée de l’homme juste.
Je me suis levé, j’avais en tête une question lancinante qui me torturait l’esprit : quel est, parmi toutes les faiblesses de l’homme, le défaut le plus pernicieux, le plus difficile à combattre ? Autour de moi j’ai demandé et on m’a répondu l’égoïsme, la paresse, la colère, l’orgueil, la jalousie, et bien d’autres encore, tant il est facile d’énumérer les tendances vicieuses et ténébreuses de l’homme. Je me suis interrogé et j’ai pensé qu’il n’y avait pas de plus grand défaut que l’ignorance et de plus grande qualité que la connaissance.
Le premier est la cause de toutes les confusions entre le Bien et le Mal, le second est la source de toutes les vertus. Homme, connais-toi, débarrasse-toi de ta carcasse d’ignorance qui t’entrave et te perd dans les méandres de la mort. N’ignore plus, vieil homme, le combat qui sourd au fond de ton cœur, cette lutte pour ta liberté. Il n’y a qu’à observer l’ignorant pour s’apercevoir de l’incohérence de ses paroles et de la discordance de ses actes. Chaque jour il cherche son bonheur, chaque soir il le perd un peu davantage. Chaque jour il veut le Bien, chaque jour il donne le Mal.
Je fais un vœu : Que chaque homme de désir puisse un jour contempler la Connaissance comme j’ai mangé le bonheur, que chaque être assoiffé vienne s’abreuver au cœur du nouvel homme et y goûte la vie de la Source éternelle. Alors, comme moi, chaque homme voudra changer le monde, et de la paresse ancienne vont naître une foi et une volonté inébranlables afin de réitérer éternellement ce bonheur si bien caché.
Marc Rivers – Octobre 1999
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